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Novembre 2005 : André Cauty

Compte rendu de la séance du consacré aux numérations mayas - André Cauty

23 novembre 2005



Révisé par C. Proust en 06/2007


Pour cette séance sur la numération, nous avions invité André Cauty à parler de son travail sur les numérations mayas.


Afin de préparer notre discussion, nous avions proposé la lecture de quatre textes :


  • André Cauty, Jean-Michel Hoppan et Eric Trelut, Numérations et action :le cas des numérations mayas, Journal des Anthropologues n° 85-86, 2001.
  • André Cauty, Taxinomie, syntaxe et économie des numérations parlées, Amerindia n°9, p198.
  • André Cauty, L’arithmétique maya, numéro spécial « mathématiques exotiques » de « Pour la science », avril 2005, p.12-17.
  • André Cauty, Jean-Michel Hoppan, Et un, et deux zéros mayas, numéro spécial « mathématiques exotiques » de « Pour la science », avril 2005, p.18-21.

Étaient présents à cette première séance de l’année, Agathe Keller, Eric Vandendriessche, Alain Le Mignot, Sophie Desrosiers, Martha Cécilia Bustamante. Nous avons mis en place un protocole d’audio conférence qui a permis à Senthil Babu de participer à cette rencontre depuis Pondichéry.


Comme d’habitude la séance a débuté par un tour de table. Agathe Keller et Eric Vandendriessche ont de nouveau expliqué leur intérêt pour l’ethnomathématique qui a entraîné la mise en place du projet « Anthropologie des mathématiques » dans lequel s’inscrit ce groupe de réflexion.


Alain Le Mignot , habitué de ces réunions l’an passé, est professeur de mathématiques en IUT. Il mène parallèlement une recherche sur l’émergence de la logique en regardant son rapport à la rhétorique et aux mathématiques. Ses interrogations sur la nature des mathématiques l’ont amené à s’intéresser à l’ethnomathématique.


André Cauty se présente comme un linguiste, qui en son temps à fait des mathématiques. Il explique qu’il s’intéresse aux numérations car elles forment un système linguistique spécifique. Il étudie les numérations amérindiennes en s’appuyant sur les traces parlées ou écrites qui sont pour lui les plus intéressantes. Il a en projet de lancer un vaste travail qui consisterait à réaliser un Atlas des systèmes de numération encore utilisés sur la planète. Comme il s’agit d’une tache gigantesque, il se contente, avec ces collègues d’un petit bout d’Amérique latine.


A. Cauty a fait des séjours ethnographiques en « pays mayas » et en Colombie. C’est dans ce dernier pays qu’il a participé à la formation d’étudiants en linguistique. Ces étudiants étaient formés dans le but d’effectuer une reconnaissance des nombreuses langues orales pratiquées dans ce pays. Sur une question d’Agathe Keller, A. Cauty précise que par « pays mayas » il entend, une partie de ce qu’on appelle la « Méso-Amérique » c’est-à-dire, le Yucatan mexicain, le Belize et le Guatemala. Cependant les langues mayas ont essaimé. (On peut donc penser que la Colombie par essaimage connaît des langues mayas, mais ce point demeure en suspens).


Sophie Desrosiers, qui a déjà participé à plusieurs séances du groupe, est anthropologue, spécialiste des textiles des Andes. Il y a dans cette région une longue tradition de tissage (5000 ans de textile ….). Elle est venue à s’intéresser à l’ethnomathématique car elle a repéré dans ces tissages de véritables systèmes qui présentent des schémas logiques qui lui font penser à des élaborations mathématiques. Elle travaille actuellement avec des archéologues qui travaillent sur des sites le long de la route de la soie, où son expertise en terme de tissage sert à identifier et analyser les textiles qu’on trouve lors des fouilles. Elle travaille en ce moment sur des tissus extraits d’une tombe en Mongolie.


Martha Cécilia Bustamante est historienne de la physique du XXe siècle au REHSEIS. Intéressée, entre autres, par une présentation faite par Eric Vandendriessche sur les jeux de ficelle en mai 2005 au REHSEIS, et par les questions que ce type d’études soulèvent, Martha Cécilia a décidé de se rapprocher du groupe « ethnomathématique ».


Senthil Babu, un des partenaires principaux du projet « Anthropologie des mathématiques », termine une thèse de Doctorat sur l’Histoire de l’enseignement des mathématiques élémentaires en Inde du Sud. Il est virtuellement présent au séminaire par l’intermédiaire de skype. Il s’intéresse à l’histoire des pratiques mathématiques populaires en Inde. (cf CR sur la venue de S. Babu pour plus de détails).


André Cauty débute en rappelant qu’il y a actuellement différentes façons de faire de l’ethnomathématique. Le terme même d’ethnomathématique peut être perçu comme étant assez péjoratif. Cela est certainement du, la plupart du temps, à une posture post-coloniale, comme celle d’Ubiratan d’Ambrosio. La discussion dévie donc sur ce que nous nommons ethnomathématique, et A. Keller explique que nous tenons à laisser le débat ouvert, mais que ce qui nous intéresse est l’expérience de terrain pour réfléchir sur ce que sont les mathématiques.


André Cauty enchaîne donc sur son expérience. Il y a en Colombie plus de 60 langues recensées et très peu de linguistes pour les étudier. Ce qui engendrait un réel manque. Un programme universitaire a donc débuté (quand ????) avec pour objectif de former 50 jeunes linguistes de terrain. On peut maintenant travailler sur ces langues. A. Cauty a participé à la formation de ces jeunes sur le terrain. Parallèlement à ce projet, André Cauty explique qu’un programme gouvernemental à promu la formation d’écoles enseignant dans des langues régionales. Dans ce cadre, en effet, les institutions scolaires sont gérées par les communautés concernées. Parfois, des anthropologues et linguistes ont été sollicités pour aider à réfléchir au processus de mise à l’écrit de ces langues à tradition orales. Dans les classes de mathématiques, les systèmes de numérations (quelques fois en base 20) qu’utilisaient les anciens sont parfois pratiqués par les jeunes arithméticiens. En fait, on ne sait plus très bien ce qui se passe dans les écoles. La gestion du système éducatif étant sous la responsabilité des autorités locales, certains interdisent de rentrer dans les écoles pour voir ce qui s’y passe.


André Cauty évoque les problèmes que soulèvent l’élaboration d’un cursus « local » de mathématiques. Il nous raconte la demande que lui avait faite un Chaman. Ce dernier s’interrogeait sur le fait d’enseigner ou non des mathématiques, et sur le contenu d’un tel enseignement à l’école. A. Cauty lui proposa, comme exemple, un travail sur les nombres par une représentation sur la droite des réels. Le Chaman répondit que cette façon de représenter les nombres n’étaient pas possible, puisque les nombres représentaient le temps, que le temps était cyclique, représenté par une hélice dans sa communauté : A. Cauty proposa une représentation des réels sur un cône qui eu davantage de succès.


Concernant les liens entre ethnomathématique et pédagogie, André Cauty Cauty n’adhère pas à la façon dont Paulus Gerdes fait de l’ethnomathématique : Pour lui cela revient à plaquer une analyse mathématique sur des pratiques qu’y n’en sont pas. Il demande à voir que des jeux avec des bouts de ficelle sont des mathématiques.


André Cauty rappelle brièvement un certain nombre de notions élémentaires de linguistique qui doivent lui servir pour une représentation épistémologique des connaissances. Pour lui, les connaissances sont toujours le résultat d’une production collective. Par ailleurs les textes n’ont pas de contenu par eux-mêmes, ce sont des discours qui prennent leur valeur dans le jeu entre le « locuteur » (le « je ») et celui/celle qui reçoit le discours (le « toi »). Il faut ainsi distinguer entre ce que le locuteur veut dire (le vouloir dire) et ce que celui/celle qui reçoit le discours comprend (ce qu’il/elle fait dire au locuteur). Tout se joue alors dans les écarts entre le « vouloir dire » et le « faire dire ». Ainsi toute communication réussie nécessite un système de passerelles entre l’un et l’autre. Les « erreurs » et les incompréhensions peuvent alors être interprétées comme des innovations par rapport au système de passerelles déjà existant.


Pour André Cauty, le système décrit ci-dessus vaut pour tout système de communication. ( est-ce qu’il appelle cela un « système de représentation » ?) Les langues se distinguent par le fait qu’elles contiennent leur propre métalangue (il existe des mots pour désigner des catégories de mots (« verbe », « sujet » par exemple en français) et, des règles de grammaire qui sont exprimées dans la langue). Lorsqu’une langue est écrite, un élément additionnel vient se mettre en place.


Quelle est alors la spécificité des nombres dans ce système ?


A. Cauty nous commente ainsi le principe méthodologique développé p.17 de l’article « numération et action ».


Agathe Keller lui demande de développer les nuances qu’il fait entre symbole, logogramme, glyphe, icône et idéogramme.


 A. Cauty explique qu’un signe c’est l’association d’un signal et d’un symbole (CP : chez les assyriologues : un signe est un graphème). En Amérique centrale, il est intéressant à noter qu’il existe des systèmes d’écritures qui sont les mêmes pour des locuteurs de langues différentes. C’est-à-dire que le symbole est le même mais pour des signes différents.


L’étude des codex, montre qu’à l’époque classique (IIIème au IXème siècle), les Mayas disposaient de deux systèmes de numération de caractère vigésimal : l’un positionnel presque de base 20 (il est utilisé pour les durées, mais s’y insère parfois un facteur 18) et l’autre semi dispositionnel, semi positionnel (le système dispositionnel est utilisé pour les dates et les durées, le système positionnel peut aussi être utilisé pour les durées). Les deux types marquent le zéro, pour le premier c’est un zéro cardinal (premier signe de la numération), le second est un zéro ordinal est un rang que l’on trouve dans l’écriture des dates. Les préoccupations mayas qui apparaissent sur les stèles et codex sont liés à l’astronomie et la numération y est utilisée pour l’écriture des dates et des durées.


Sur une question d’Eric Vandendriessche, André Cauty revient à son analyse de ce qu’il appelle avec Claude Hagège un système protractif. (CP invite à la lecture de son dernier article pour Culture Math où ces choses sont peut-être plus claires : http://www.dma.ens.fr/culturemath/histoire%20des%20maths/index.htm#maya)


A. Cauty développe son exemple de la numération yucatèque colonial, où 35 se dit « holhucakal ». On y repère les constituants numériques ho = 5, lahun = 10, ca = 2 et kal = 20. les règles de grammaire conduisent à penser à la composition holhu = 15 et ca kal = 2 . 20 = 40. On remarque qu’aucune opération arithmétique évidente permet de comprendre comment on en vient à écrire le nombre 35 comme étant 15 . 40 .


De même 30 s’écrit 10 . 2. 20. Comme tous les nombres de 21 à 39 sont écrits par un procédé qui fait penser à une construction additive, (par ex 21 : « huntukal », hun = 1 et kal = 20 relié par « tu » analysé comme « ligature » ) on a un moment pensé que 30 et 35 étaient en fait deux exceptions. Dans les années 80, Cauty a proposé un autre point de vue, qu’une analyse linguistique a permis de révéler. Cettte interprétation provient de l’analyse du « tu » comme une contraction du locatif « ti » = « en, vers » et de « u » ou « uy » = « ième ». C’est ensuite une étude des « règles d’effacement » de la grammaire maya qui lui a permis d’avancer.


Alors in faut comprendre l’expression « holhucakal » comme étant une forme ellidée de « lahun ti+u ca-kal », qui signifierait « 15 vers la seconde vingtaine ». Dans ce cas, l’expression signifierait donc qu’il faut compter 15 après la première vingtaine, bref faire 20 + 15= 35. Ce serait une manière de compter par « antéposition » en regardant ce vers quoi tend le nombre. Une étude linguistique (dans laquelle A. Cauty, par manque de temps, ne nous emmène pas) montre que l’effacement du « ca » pour les nombres de 21 à 39 (sauf 30 et 35) s’intègre bien au même modèle, et que donc 21 a dû s’écrire « hun tu ca kal », ie « 1 vers la seconde vingtaine ». Bref André Cauty propose une généralisation de cette manière de compter à l’ensemble des manières de nommer les nombres en yucatèque de 20 à 400. Ce raisonnement suppose une élision, sauf dans les cas de 30 et de 35 de la particule « ca ».. Nous n’avons pas bien compris comment cela était possible, même en revenant après le séminaire à l’article où cette thèse est exposée.


Eric Vandendriessche s’interroge sur les possibilités d’analyse linguistique pour remonter dans le passé de certaines numérations issues d’une tradition orale. Par exemple, aux Marquises, 5 se dit « ima » qui signifie aussi la main. Cela dit le système de numération que tout le monde utilise aujourd’hui est le système positionnel de base 10. Néanmoins, selon un vieil homme de l’île de Ua Pou, « les anciens comptaient en faisant des paquets de cinq ». Le mot « ima » serait donc une première trace d’un système plus ancien en base 5.


A.Cauty pense qu’ une étude minutieuse de la langue permettrait probablement de remonter jusqu’à ce système ancien de numération marquisien.


A. Keller évoque aussi le travail de Dominique Vellard qui pensait retrouver au Mexique des personnes « comptant comme des mayas ».


Nous nous interrogeons sur l’arithmétique que pratiquaient les mayas à l’époque classique. Il y a très peu de traces permettant de connaître les techniques utilisés par les scribes mayas, tout au plus quelques tables de multiples. Il n’y a pas, comme c’est le cas en Mésopotamie, de traces des calculs effectués, ni de document produit par des élèves qui attesteraient de l’enseignement des mathématiques. En revanche, il est certain que les scribes maîtrisaient des techniques d’arithmétique complexes et excellaient très certainement dans l’art de ce que nous appelons aujourd’hui les congruences. Ils étaient en effet capables de déterminer la durée entre deux dates reposant sur des calendriers complexes construits sur des superpositions de cycles.


Eric Vandendriessche rappelle le travail de Marcia Ascher sur ce sujet. A. Cauty pense que cette dernière va trop loin dans son analyse, et qu’en l’absence de source, toute sont étude n’est que pure supposition.


S. Desrosiers pense qu’il ne faut pas être trop pessimiste sur l’absence de textes de calculs en langue maya. Elle raconte que pendant longtemps on ne trouvait pas de tissus dans les tombes, jusqu’au jour où l’on a pu et pensé à analyser les débris organiques qu’on trouvait dans les fouilles pour pouvoir les reconstituer.


Au final nous nous rendons compte qu’un certain nombre de questions sont demeurées obscures : Mis à part les arguments linguistiques en faveur d’une élision du « ca » pour les noms de nombres en yucathèque, en voici d’autres : Où (dans quels pays) et comment A. Cauty a-il fait des terrains ? Quelles sont ces sources ? ( des entretiens directs, avec des traducteurs ? Des entretiens avec des étudiants qui vont sur le terrain ? des vieux textes (codex etc.) ?- ). Probablement un peu de tout cela. Comment cela est-il différentié dans sa recherche ? Comment en particulier articule-t-il des analyses linguistiques sur des sources anciennes écrites avec des pratiques vivantes contemporaines ?


En rédigeant ce compte rendu, nous réalisons, que nous ne savons toujours pas s’il y a une ou plusieurs langues mayas, ni la répartition géographique précise visée par A. Cauty. (Quels rapports entre le Belize et la Colombie ?)