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Décembre 2005 : Marc Chemillier

Compte rendu de la séance du 17 février 2005 consacré au travail de Marc Chemillier

sur la divination sikidy à Madagascar



La séance commence par un tour de table, car il y a de nouvelles têtes :


Dominique Vellard, fait de l’ethnomathématique depuis 20 ans. Elle a ainsi soutenu une thèse avec Daniel Lacombe et Françoise Héritier sur les pratiques calculatoires au Mali et au Rwanda. Si elle enseigne l’informatique à Nantes, elle revient tout juste d’un terrain au Togo, et a travaillé aussi au Mexique et au Burundi, toujours en ethnomathématique. Au Rwanda en particulier, elle s’est intéressée aux systèmes de conversions monétaires dans des communautés analphabètes.


Robin Jamet connaîs un peu le milieu de l’histoire des sciences, car il a commencé un DEA d’Histoire des Sciences à Paris VII, qu’il n’a jamais achevé (jamais fait de mémoire). Il fait actuellement du journalisme scientifique et est venu par curiosité.


Etaient également présents, Marc Chemillier, Agathe Keller, Alain Le Mignot et Eric Vandendriessche.


Marc Chemillier nous fait alors une présentation de ses recherches sur les techniques de la divination sikidy à Madagaskar, dont on peu retrouver les idées directrices dans deux articles que l’on peut trouver sur internet :


 http://recherche.ircam.fr/equipes/repmus/marc/publi/sikidy/aspmathcog.pdf


 http://recherche.ircam.fr/equipes/repmus/marc/publi/sikidy/Mathtrad.pdf


Sa présentation inclue des séquences vidéos qui mettent en lumière des éléments généraux de son terrain et des questions techniques.


Au niveau du terrain, une séquence nous montre les problèmes qui apparaissent, lorsque le traducteur ne comprend pas l’enjeu du terrain. Dominique Vellard intervient pour parler de la coopération qui se construit au fil du temps entre interprètes, informateurs et chercheurs. Elle explique comment un terrain est toujours une co-construction où tout le monde apprend et en sors modifié (ainsi au Rwanda l’interprète réalisant qu’il ne comprennait pas les calculs effectués par des analphabètes c’est mis à les regarder avec un autre oeil, moins méprisant). L’ethnomathématique a pour sujet des connaissances dévalorisées que l’on confronte avec des connaissances valorisées. À plusieurs reprises nous revenons à l’importance et à la qualité des interprètes et informateurs qui peuvent faire gagner beaucoup de temps, mais qui pour les dénicher demandent en fait une familiarité avec le terrain qui lui ne vient qu’avec le temps. Il faut aussi bien garder en tête les questions que l’on se pose, et ce qu’on veut étudier, car les terrains sont riches d’informations en tout genre. Le fait de tout noter relève de la monographie ethnologique et non plus d’un terrain d’ethnomathématique.


Au niveau technique, des petits films explicitent des éléments du processus que l’explication-papier montre avec plus de difficulté : on voit ainsi comment se construit la matrice mère, au moyen d’une selection aléatoire (poignées) et d’une division euclidienne (dont le reste est un ou deux).


Marc Chemillier revient sur les procédures dont il ne comprend la logique du point de vus des devins : ainsi lorsqu’apparaît la colonne 2222, élément neutre du système algébrique formé par les tableaux de la divination sikidy, les devins inversent l’ordre habituel de construction des colonnes. Mathématiquement on comprend pourquoi l’ordre peut-être inversé, mais quelles explications en donnent les devins ? Interrogés, ceux-ci nient l’inversion de sens ou évoquent qu’ils le font ’par cœur’, ce qui du point de vue de la production des colonnes n’as pas de sens, car la matrice mère elle est imprévisible, et que l’inversion n’a lieu que lorsque 2222 apparaît.


Agathe Keller évoque le fait de pratiquer à leur manière les tableaux pour essayer de comprendre ’de l’intérieur’ comment ils fonctionnent. Eric Vandendriessche rétorque que ce serait encore inventer notre propre logique pour comprendre cette activité, si on le fait dans son coin, même si cela fournit une certaine dextérité et connaissance qui aide une fois sur le terrain. Il pose la question des cadres de transmission de la pratique divinatoire à Madagascar. Marc Chemillier répond qu’il n’en sait rien, que les devins disent toujours qu’ils ont appris tout seul, même s’ils évoquent aussi des maîtres.


Nous discutons des différents plans de pensée des acteurs que Marc Chemillier veut expliciter sur son terrain :


Il y a la description mathématique de l’algèbre des graines. La connaissance des règles algébriques auxquels sont soumis les tableaux, donne un angle à partir duquel tenter de comprendre ce qui dans la pratique des devins relève des propriétés de cette algèbre (les propriétés de l’élément neutre, par exemple). La connaissance mathématique de ces règles peut également servir de language à partir duquel comprendre les raisonnements et les actes mentaux des devins eux-mêmes. On peut tenter de comprendre ce que font mentalement les devins au moyen de méthodes développés par des cogniticiens. Ainsi les tests chronométriques nous montrent que les devins ne comptent pas le nombre de graines pour distinguer les colonnes ’princes’ (ou pairs) et les colonnes ’esclaves’ (ou impairs). Ils les connaissent si bien qu’ils les reconnaissent d’emblée. La reconnaissance d’emblée des princes et des esclaves rend compte d’une activité non-consciente des devins (au même titre que nous n’avons pas conscience que pour lire une lettre à l’envers, notre cerveau la retourne à l’endroit, ce que les tests chronométriques mettent en lumière).


On peut tenter d’aborder la théorisation, par les devins, de leur pratique. Marc Chemillier a montré qu’un au moins des devins avait un concept de parité, une idée théorique au sens etymologique de ce mot. L’objectif, bien entendu, est d’expliciter plus avant la théorie qu’ont les devins de leur pratique formelle ce qui demande du temps sur le terrain. Pour une part, cela revient au problème d’étudier des concepts que les acteurs ont même s’ils n’ont pas de mots pour les exprimer. Marc Chemillier renvois aux travaux de Maurice Bloch et Dan Sperber à ce sujet.


Nous discutons de la disjonction entre la pratique formelle des tableaux et l’interprétation qu’en font les devins. Agathe Keller pense qu’il est possible parfois d’avoir des réponses théoriques à des questions formelles en regardant le contexte dans lequel ils s’insèrent. Elle donne un exemple tiré des commentaires mathématiques en sanskrit, qui souvent utilisent des raisonnements grammaticaux très techniques pour en fait faire des raisonnements mathématiques : si l’on ne prête pas attention à ces raisonnements, car ils semblent relever d’une autre matière, on ne se rend pas compte du travail mathématique qui y est en jeu. Marc Chemillier défend l’idée que l’on peut sur le terrain discuter de pratiques formelles avec des devins. Il demande à voir que le contexte puisse l’aider à répondre à ces questions. Ainsi, s’il a bien assisté à des rituels, parfois spectaculaires, ils n’ont rien amené à sa connaissance des manipulations de colonnes. Marc Chemillier évoque la grande querelle de l’ethnomusicologie, entre ceux qui s’intéressent au cadre dans lequel on pratique de la musique et ceux qui s’intéressent aux formes musicales, les deux étant, bien entendu importants, tout dépendant de la question que l’on se pose au départ. Nous sommes tous d’accord que c’est l’articulation du plan formel avec le contexte qui est intéressant, encore faut-il avoir explicité tout ce que l’on pouvait de l’un et l’autre plan. En ce qui concerne la divination sikidy, les devins savent bien expliciter qu’il existe des règles formelles des tableaux qu’ils connaissent et qui ne sert pas nécessairement à la divination, même s’ils n’explicitent pas ce que cela signifie pour eux. Tout le monde à Madagascar semble connaître quelques règles de base de manipulation des tableaux, ce qui permet de contrÙler qu’un devin sait effectivement produire des tableaux et le fait avec plus ou moins d’ingéniosité. Cette habilité semble être un critère pour s’assurer de l’aspect sérieux des devins. C’est dans ce type de réflexions que l’on se trouve à la frontière entre le plan formel et le contexte dans lequel ils s’insèrent.


Dominique Vellard évoque la géomancie Vaudou et un collègue Togolais qui travaille sur ce domaine. Elle va le mettre en contact avec Marc. Suite à une question, Marc Chemillier explicite comment ces tests ont été conduits, notamment en expliquant qu’une dizaine de devins ont été interrogés et que trois ’non-devins’ (plutôt que des ’occidentaux’) ont été soumis au contre-test. Les cogniticiens ont considéré que les résultats du test ne faisaient aucun doute, et donc Marc Chemillier pense que le protocole leur convient.